Les six failles du projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Cigéo (16/01/2016)
Communiqué de Greenpeace.
Le délire industriel nucléaire continue. Alors qu’Areva s’embourbe à Flamanville dans un chantier qui n’en finit plus autour du nouvel EPR, et qu’EDF essuie des revers boursiers sans précédent, c’est le projet d’enfouissement de Cigéo, à Bure dans la Meuse, qui vient rajouter une dernière goutte d’eau dans le vase déjà trop plein du nucléaire. Le projet décrypté en six failles.
Dans un rapport publié il y a quelques jours, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA)a annoncé qu’au lieu des 13 milliards d’euros initialement prévus pour le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) , ce sont en réalité environ 35 milliards qui seront nécessaires au projet. Et selon nos informations, il faudrait même près du double pour mener à bien ce projet pharaonique.
L’Agence de sûreté nucléaire (ASN) reconnaît elle-même que les prévisions de l’ANDRA sont “trop optimistes”. Dans quel autre secteur industriel tolèrerait-on de tels surcoûts sans broncher ?
Rappelons que le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, introduit de façon cavalière dans le projet de loi Macron l’été dernier, a été retoqué quelques semaines plus tard par le Conseil constitutionnel, qui a estimé à juste raison qu’il n’avait rien à y faire. Las, le ministère de l’Economie député (PS) de Meurthe-et-Moselle, M. Le Déaut entend néanmoins proposer une loi sur le sujet au premier semestre de cette année 2016.
Faille n° 1 : l’insécurité géologique
Le site de Cigéo est censé accueillir les déchets dits de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) existants et à venir, y compris ceux de l’EPR français (basé sur une durée d’exploitation de 40 ans des réacteurs). Actuellement, ces déchets sont entreposés dans l’usine de retraitement de la Hague, avec un système de ventilation pour réguler les températures extrêmement élevées liées à la radioactivité de ces déchets.
Ces déchets représentent seulement 3% du combustible usagé, mais concentrent environ 99 % de la radioactivité initiale du combustible. La concentration radioactive y est d’ailleurs telle que seules des machines peuvent manipuler ces conteneurs de déchets.
A Cigéo, les conteneurs hautement radioactifs seraient stockés en profondeur dans une couche géologique d’argile, sélectionnée pour sa relative stabilité. L’argile est notamment connue pour ses qualités en matière d’imperméabilité.
Cependant, il est bien évident que les travaux de forage déstabiliseront cette couche argileuse. De plus, des épisodes sismiques ne sont pas totalement exclus. La stabilité historique de la zone n’est pas une preuve suffisante, du moins complètement satisfaisante. Enfin nous savons que les conteneurs et les galeries ont tendance à se déformer sous l’effet de la haute radioactivité qu’ils contiennent et des mouvements de la roche. Dans ces conditions, nul ne peut dire comment réagira la strate argileuse.
Faille n° 2 : l’insécurité logistique
Le site de Cigéo est censé fonctionner pendant un siècle. L’ANDRA souhaiterait l’ouvrir en 2030. Sauf que les déchets de haute activité produits à date ne pourront pas être stockés dans un lieu confiné avant 2075, tant leur radioactivité est élevée (elle nécessite un entreposage dans un endroit ventilé pendant plusieurs années). Soit un délai de 45 ans. En outre, plusieurs questions se posent quant à l’infrastructure logistique nécessaire pour assurer le transport de ces déchets hyper sensibles de la Hague jusqu’à Cigéo, pour l’instant non résolues.
Alors pourquoi tant d’empressement à ouvrir Cigéo ? Par simple calcul politique : les autorités ont en effet besoin de nous faire croire qu’il existe une solution au stockage des déchets radioactifs, d’abord pour maintenir la fiction du nucléaire comme énergie soutenable, ensuite pour justifier son maintien en activité et sa part prépondérante (près de 80 %) dans le mix électrique français.
Faille n° 3 : l’insécurité chronologique
En outre, le site industriel de la Hague, où sont pour l’instant traités et entreposés les déchets hautement radioactifs, sera obsolète en 2030 (un site industriel de ce type dure environ 40 ans). Quand bien même Cigéo serait ouvert à cette date, il ne pourra accueillir que des déchets à radioactivité moyenne, en guise de test (les autres ne pouvant de toute façon pas supporter un stockage confiné). Que fera-t-on alors des déchets hautement radioactifs stockés à la Hague ? Pour l’instant, aucune réponse.
Et que faire une fois que Cigéo parviendra à saturation, alors qu’il y aura encore de nombreux conteneurs à descendre si l’activité nucléaire du pays se maintient. L’agrandir sans fin ? Question d’autant plus épineuse que la loi interdit toute possibilité d’une activité de retraitement les engagements pris par les pouvoirs publics et que l’ANDRA ne prévoient aucune infrastructure en surface à Cigéo. On déplace donc le problème sans le résoudre, au risque d’en créer de nouveaux au passage.
Faille n° 4 : l’insécurité économique
Cela nous amène à des considérations économiques : comment prévoir le niveau de l’inflation, le prix de l’argent, du coût de la main d’œuvre et des technologies sur des échelles de temps aussi longues ? À l’aide d’une boule de cristal ?
Or, quand il s’agit de tels ordres de grandeur – plusieurs dizaines de milliards assumés par le contribuable – cela pose un certain nombre de questions politiques auxquelles nul n’est capable de donner de réponses satisfaisantes pour le moment.
Faille n° 5 : l’insécurité scientifique
A Cigéo, c’est la solution du stockage définitif qui a été choisie. Cela signifie qu’une fois les conteneurs enfouis les uns derrière les autres, les galeries creusées dans l’argile seront définitivement scellées par un mélange bétonneux, de sorte qu’elles ne soient plus jamais accessibles.
Partout ailleurs, les conteneurs sont en général stockés dans des galeries accessibles à tout moment, ce qui permet d’opérer un travail de surveillance continue et d’intervenir en cas de besoin. Or à Cigéo, toute intervention a posteriori serait de fait impossible.
Faille n° 6 : l’insécurité historique
L’enfouissement définitif des déchets nucléaires pose en réalité la question d’une éthique du temps. Le nucléaire actionne des échelles de temps particulièrement longues, qui échappent par bien des égards au temps historique et politique. Les acteurs qui prennent les décisions aujourd’hui ne seront sans doute même plus vivants au moment de leur application – et ils ne seront plus comptables des effets de ces choix, qui engagent donc les générations futures.
Quant aux déchets hautement radioactifs, ils resteront dangereux pendant des centaines de milliers d’année encore. Ce que nous faisons aujourd’hui en matière nucléaire échappe en somme à notre contrôle et à notre implication historique.
Un jour ou l’autre, les êtres humains assisteront à la fermeture de Cigéo. Pour autant, des déchets radioactifs inaccessibles et dangereux y resteront enfouis. Comment s’assurer que les générations futures, dans des dizaines ou des centaines d’années, ne tombent pas dessus par accident, ou selon des modalités dommageables voire tragiques ?
Comment faire en sorte que les informations concernant le site de Cigéo et les déchets enfouis observent une continuité sur des centaines d’années ? Comment être sûr qu’elles soient encore lisibles et intelligibles, à la vitesse où vont le progrès technique et l’évolution des signaux communicationnels ? Comment garantir une continuité d’information ? Comment garantir une continuité politique ?
Tout cela paraît fortement hypothétique et révèle quelle est la nature civilisationnelle du nucléaire : une suite de paris inconsidérés où l’humanité actuelle se dédouane ouvertement de sa responsabilité historique.
22:58 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bure stop, déchets nucléaires, greenpeace | | Facebook | | Imprimer |