L’indigestion qui vient (28/07/2015)

Extraits de l'article de Benoît Bréville dans "Le Monde Diplomatique"

Une carcasse artificielle tombe sur la chaîne de production d’une usine aseptisée. Recouverte par une épaisse pâte blanche sortie d’un bras métallique, elle passe ensuite par une machine qui lui donne l’aspect d’un poulet bien en chair auquel on aurait coupé la tête et les pattes. Quelques pulvérisations de colorant plus tard, la volaille est empaquetée, prête à être vendue. Extraites de L’Aile ou la Cuisse, un film populaire dans lequel Louis de Funès interprète un critique gastronomique en guerre contre un géant de la restauration collective, ces images présentaient en 1976 un caractère saugrenu, propre à susciter l’hilarité.

 

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Quarante ans plus tard, la réalité a dépassé la fiction et le rire a viré jaune. De la nourriture fade et vite expédiée a remplacé les mets savoureux sur les tables des foyers et des restaurants. Des produits qui n’ont plus rien de naturel ont envahi les étals des supermarchés : des tomates et des fraises sans goût, produites hiver comme été dans des serres surchauffées, à coups d’engrais et de fongicides ; des plats préparés avec du « minerai de bœuf », un mélange de viande, de peau, de gras et de viscères dans lequel se nichent parfois des bouts de cheval ; des pizzas garnies au « fromage analogue », qui a toute l’apparence du vrai fromage mais ne contient pas une goutte de lait. Et même des petites croquettes de poulet baptisées « nuggets », dont la méthode de fabrication paraît tout droit sortie du film de Claude Zidi : il s’agit en fait d’une pâte de volaille recomposée, enduite de panure puis passée à la friteuse.

(...)

Déforestation, pollution des nappes phréatiques, appauvrissement des sols et destruction de la biodiversité : le productivisme alimentaire a enfin des conséquences funestes sur l’environnement. A elle seule, l’industrie de la viande accapare 78 % des terres agricoles de la planète ; elle est arton53389-b7861.pngresponsable de 80 % de la déforestation de l’Amazonie et de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre causées par l’homme. Sachant qu’il faut quinze mille litres d’eau et sept kilos de céréales pour produire un kilo de bœuf, et que, par exemple, trois mille kilos de bœuf sont consommés chaque minute en France, il suffit ensuite de faire le calcul…

Pour parer au carambolage écologique, certains envisagent d’accélérer la fuite en avant scientifique. Des biologistes et des généticiens ont ainsi mis au point le « steak synthétique », entièrement fabriqué en laboratoire, et l’œuf artificiel, conçu sans poule. Mais d’autres, toujours plus nombreux, prônent le retour à une agriculture locale, respectueuse de l’environnement et affranchie des chaînes de la grande distribution. Cette solution demeure cependant circonscrite à la minorité de la population qui peut s’offrir le luxe de se nourrir correctement sans trop amputer d’autres dépenses essentielles. Les classes populaires, elles, demeurent largement captives des produits de l’agro-business. Ainsi, le combat pour l’alimentation est également politique et social : permettre à chacun de disposer des moyens d’accéder à une nourriture de qualité.

 

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