Les protestations au Népal sont le résultat d’une révolution avortée (03/10/2025)
Article publié le 30 septembre, écrit par par Sushovan Dhar pour le CADTM (extraits)
Au cours du mois dernier, le Népal, pays enclavé de l’Himalaya, a connu les manifestations les plus violentes depuis près de deux décennies. Si le déclencheur immédiat a été l’interdiction des réseaux sociaux par le gouvernement, le soulèvement s’est rapidement transformé en une révolte nationale contre des problèmes socio-économiques plus larges tels que la corruption, le chômage et la dérive autoritaire du pays.
Des dizaines de milliers de jeunes, pour la plupart adolescents ou âgés d’une vingtaine d’années, ont envahi les rues de Katmandou, Pokhara et Biratnagar. Ils ont démoli des barricades, affronté les forces de sécurité et rempli la capitale de chants de défi.
La réponse de l’État a été rapide et brutale : balles en caoutchouc, canons à eau, gaz lacrymogènes et tirs à balles réelles. À la mi-septembre, au moins 72 personnes avaient trouvé la mort et plus de 2 000 avaient été blessées.
Vague de révolte
Le « mouvement de la génération Z », comme on l’appelle, s’inscrit dans une vague de révolte régionale plus large. De Colombo en 2022, où les Sri-Lankais ont contraint leur président à fuir, à Dhaka en 2024-2025, où des manifestations généralisées ont conduit au renversement du gouvernement de Sheikh Hasina, les populations de toute l’Asie du Sud se soulèvent. Elles s’attaquent aux élites dont les politiques les privent de l’accès même aux produits de première nécessité.
(...)
Pour rétablir la confiance, la gauche doit faire preuve de démocratie interne en promouvant des débats ouverts, la rotation des dirigeants et de la transparence dans la prise de décision. En outre, elle devrait créer des mécanismes garantissant la responsabilité envers les membres de la base plutôt qu’envers des politiciens de carrière.
Les crises matérielles auxquelles sont confrontés les citoyens ordinaires soulignent l’urgence de cette transformation. L’inflation, les migrations massives, le chômage des jeunes et l’effondrement agricole ont rendu insignifiants des slogans tels que « guerre populaire » ou « nouvelle démocratie ». À moins que la gauche n’ancre sa politique dans des programmes concrets – plans pour l’emploi rural et urbain, investissements dans la santé publique, l’éducation et l’adaptation au changement climatique –, elle continuera à céder du terrain à la nostalgie royaliste et au populisme de droite.
L’enjeu n’est pas seulement l’avenir de l’expérience républicaine du Népal, mais également la crédibilité de la gauche elle-même. L’alternative au renouveau est la marginalisation, une politique prise au piège entre une rhétorique révolutionnaire vide de sens et des manœuvres cyniques de coalition. La tâche consiste donc à ré-imaginer le socialisme comme un projet vivant et démocratique, ancré dans la voix du peuple, des institutions responsables et une volonté de s’opposer au capital sous toutes ses formes, tant au niveau mondial que national.
Dix-sept ans après la chute de la monarchie, la révolution népalaise reste inachevée. La République promettait l’égalité et la justice, mais elle a apporté l’instabilité et la trahison. Pourtant, le soulèvement actuel prouve que le peuple n’a pas abandonné capacité à façonner l’histoire.
La crise népalaise ne concerne pas seulement des dirigeants défaillants, elle concerne un processus révolutionnaire avorté alors qu’il venait à peine de voir le jour. La question est maintenant de savoir si la gauche peut renouer avec cette promesse radicale ou si l’avenir du Népal sera déterminé par la fausse stabilité des monarchistes, des nationalistes et des puissances impériales.
Les foules qui envahissent les places de Katmandou nous rappellent une vérité évidente : la lutte qui a commencé en 2006 n’est pas terminée. La République n’a jamais été une fin en soi. Ce n’était qu’un début.
21:45 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : népal, révolte, corription, cadtm | |
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