Naufrages de la Manche : la politique migratoire franco-britannique est mortifère, et ce n’est pas aux associations d’en pallier l’inconséquence (24/09/2024)
Un collectif d’acteurs locaux et nationaux appelle, dans une tribune au « Monde », les Etats français et britannique à assumer les conséquences les plus dramatiques de leur politique migratoire, en assurant la prise en charge sociale et psychologique des rescapés et des proches des victimes ainsi que la couverture des frais liés aux funérailles.
En dix jours, au moins vingt personnes ont perdu la vie dans la Manche en tentant de rejoindre le Royaume-Uni sur des embarcations de fortune. Le mardi 3 septembre, douze personnes, dont dix femmes, ont péri ; dix jours plus tard, dans la nuit du 14 au 15 septembre, ce sont huit personnes qui sont décédées lors d’une tentative de traversée. Quant aux survivants, parfois proches des victimes, ils ont dans l’un et l’autre cas été l’objet d’un abandon institutionnel complet.
Cela fait des années que ces drames se répètent inlassablement. Depuis le début de l’année 2024, ce sont 52 personnes qui sont décédées, et au moins 446 depuis 1999 – sans compter le nombre important de disparus. Toutes ces personnes sont victimes des politiques migratoires imposées par les Etats membres de l’Union européenne (UE) et par le gouvernement britannique.
Cette dernière décennie, nous avons vu une augmentation importante du nombre de décès de personnes tentant de traverser la frontière franco-britannique. Mortelles, les politiques publiques à cette frontière le sont toujours plus : les très nombreux accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, et les politiques menées par les gouvernements de ces deux pays, ont pour seuls objets une militarisation toujours plus importante de la frontière et une répression continue des personnes exilées qui y survivent.
En maintenant les personnes exilées dans des conditions de précarité absolue alors qu’elles se trouvent sans perspective ailleurs en Europe, les autorités les poussent à quitter le territoire français coûte que coûte. En cherchant à étanchéifier la frontière, elles les poussent à prendre toujours plus de risques.
Scénario indigne
A l’intolérable, les autorités ajoutent l’indécence. Au lendemain du naufrage du 3 septembre, le lieu de vie d’une grande partie des personnes naufragées a été entièrement détruit au cours d’une expulsion de grande ampleur. Les cent cinquante personnes qui y vivaient, dont de nombreux rescapés du naufrage mortel de la veille, ont donc tout perdu : tentes, bâches, couvertures, ustensiles de cuisine, ainsi que la possibilité d’un espace familier, où elles pouvaient savoir quels proches manquaient à l’appel.
Si quelques personnes rescapées ont pu passer la nuit dans des hébergements d’urgence ou citoyens, c’est uniquement grâce à la mobilisation de soutiens (associatifs ou non) : la plupart se sont retrouvées à la rue, dans une situation encore plus précaire, et plusieurs ont depuis retenté la traversée.
Ce scénario indigne s’est répété le 15 septembre, puisqu’une grande partie des survivants du naufrage, après avoir été mis à l’abri quelques heures dans un gymnase, ont passé une dizaine d’heures au commissariat, avant d’être renvoyés vers la rue, sans proposition de soutien psychologique ou d’hébergement.
En déplorant l’absence de traité migratoire entre les gouvernements des pays membres de l’UE et du Royaume-Uni, l’attractivité du marché du travail et l’absence de politique d’expulsion des personnes exilées outre-Manche, le ministre de l’intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin a, dès le 3 septembre, cherché à se décharger de sa responsabilité dans ce naufrage sur le Royaume-Uni. Pourtant, c’est bien sous son autorité et sous celle du gouvernement français que sont menées ces opérations de harcèlement continu. C’est cette politique d’épuisement qui crée les conditions pour que les personnes se jettent dans les bras des trafiquants d’êtres humains, et meurent en mer, dans des accidents de camion, sur les routes ou les voies ferrées.
Absence totale de mobilisation
Depuis des années, à Calais et Dunkerque, le Groupe décès [un collectif composé de citoyens indépendants, membres d’association ou non] accompagne et soutient, autant que faire se peut, les proches des personnes décédées et les communautés de personnes exilées. Il cherche également à faire le lien avec les autorités administratives face à leur absence totale de mobilisation. La préparation de l’inhumation ou du rapatriement, le soutien psychologique ou matériel des rescapés, des témoins, et de celles et ceux qui ont vu leur frère, leur sœur, leurs parents, leurs proches mourir sous leurs yeux, sont primordiaux. Or, l’absence de prise en charge étatique oblige des citoyens et associations, sans moyens dédiés, à jouer ce rôle, avec des conséquences traumatiques importantes pour les survivants, les familles et les aidants.
Il est aujourd’hui temps que les Etats français et britannique assument les conséquences de leur politique et qu’ils prennent leurs responsabilités, tant dans l’accompagnement social des proches des victimes et des rescapés que dans la prise en charge des frais de funérailles. Cette politique est mortifère, et ce n’est pas au Groupe décès ni à l’ensemble des soutiens et des associations d’en pallier l’inconséquence.
Nous demandons une remise en cause profonde des politiques migratoires appliquées tant au niveau local que national et européen. La politique de maltraitance des personnes exilées, dans la vie comme dans la mort, doit cesser immédiatement. Une politique d’accueil, de dignité, d’accès aux droits et au séjour doit s’y substituer pour permettre à celles et ceux qui souhaitent rester en France de pouvoir le faire.
Les voies de passage sûres vers le Royaume-Uni doivent profiter à tous et toutes, pour permettre, en cohérence avec l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, à celles et ceux dont c’est le but de s’y rendre. Seul un changement radical des politiques menées à la frontière franco-britannique permettra d’éviter ces drames.
Premiers signataires : Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Yolaine Bernard, présidente de Salam Nord/Pas-de-Calais ; Fanélie Carrey-Conte, secrétaire général de La Cimade ; Olivier Caron, président de la délégation du Secours catholique Pas-de-Calais ; Jean-François Corty, président de Médecins du monde France ; Adrien Delaby, délégué général de L’Auberge des migrants ; Jean-François Dubost, directeur du plaidoyer du CCFD-Terre Solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement) ; Cédric Herroux, responsable de la communauté Emmaüs Roya ; Yann Manzi, délégué général d’Utopia 56 ; Dany Patoux, présidente d’Osmose 62 ; Samuel Prieur, délégué du Secours catholique Nord-Lille.
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