Des étudiant.e.s en santé disent non à la fin de l'Aide médicale d'Etat (11/11/2023)

La semaine du 6 novembre, dans le cadre de l'examen du projet de loi "contrôler l'immigration, améliorer l'intégration", les sénateurs débattront de plusieurs amendement visant à remplacer l'Aide médicale d'Etat de droit commun, dispositif qui ouvre aux étrangers en situation irrégulière le droit de bénéficier de soins primaires et de prévention gratuitement, par une "Aide médicale d'urgence", qui dans le pire des scénarios ne couvrira plus que les soins prodigués en réanimation et aux urgences et ceux qui couvrent les dépistages de maladies transmissibles. Le collectif "les étudiant.e.s en santé et leurs allié.e.s contre la fin de l'Aide médicale d'Etat" s'inquiète de ce tournant et de ses conséquence sur l'exercice des futurs soignants obligés de travailler dans des conditions déontologiques et matérielles dégradées, et de voir les patients en situation irrégulière non plus comme des humains à soigner, mais des corps réduits à leur simple dimension démographique, qu'il faut maintenir en vie sans guérir ou alors des vecteurs de pathogènes. La fin de l'AME représente une dégradation brutale des conditions déontologique de notre exercice soignant futur, et la consolidation d'un paradigme dans lequel il faut soigner certains patients et en ignorer d'autres.

L'aide médicale d'Etat permet aujourd'hui de prendre en charge les dépenses de santé de 400 000 étrangers en situation irrégulière présentes sur le territoire Français depuis au moins trois mois et se trouvant en situation de grande pauvreté, c'est à dire vivant avec moins de 810€ par mois. Le panier des soins pris en charge est déjà très limité, excluant l'accès à certains dépistages (caries chez les enfants ou encore FIT tests détectant le cancer colique, test HPV...), aux hébergements pour personnes en situation de handicap, aux consultations complexes majorées, ainsi qu'aux séances de kiné opérations de prothèse et cataracte, et appareillage dentaire, visuel, ou auditif, etc. L'Assurance Maladie y consacre 0,47% de son budget, soit 2600€ par an par bénéficiaire de l'AME (notons que l'assuré moyen "coûte" quant à lui 3600€ par an à la sécu).

En tant qu'étudiants en santé nous serons amenés à prêter serment  :

"Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité [...] Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera".

L'AME sera le seul moyen pour nous d'avoir les médicaments, les lits et le temps pour travailler dans un Hôpital qui accueille une patientèle incluant des étrangers en situation irrégulière sans contrevenir à nos normes déontologiques et éthiques. Au lieu de simplement se contenter de maintenir en vie les patients en situation irrégulière, ce qui est à la fois inhumain, moralement et déontologiquement inacceptable, l'AME actuelle permet à des soignants de rendre véritablement la santé à ses bénéficiaires, et contribue à donner aux réfugiés les moyens de bénéficier d'un bon départ dans leur vie sur le territoire français en rendant leur parcours migratoire légèrement moins atroce. C'est ce qu'on appelle l'AME "de droit commun", qui constitue la meilleure prévention contre les décompensations aigües de problèmes de santé. Ces décompensations, qui exposent les patients à des souffrances importantes et les condamne à des séquelles majeures, saturent en plus les services d'urgence de manière complètement évitable avec des problèmes qui auraient dû être pris en charge en amont, tout en coûtant très cher au budget de la sécu.

Ces pathologies graves rendent les migrants particulièrement vulnérables dans la suite de leur installation en France, leur empêchant de trouver un travail, et d'accomplir des démarches administratives vitales. Pour éviter ces décompensations, une simple consultation en ville suffit dans la majorité des cas, c'est justement ce que rembourse l'AME de droit commun et ce que ne remboursera plus l'aide médicale d'urgence. Avec la suppression de l'AME de droit commun, un migrant diabétique n'aura par exemple plus de quoi se payer sa metformine prescrite dans le pays qu'il a dû quitter, mais se fera rembourser sans souci son amputation sans avances de frais. Le gouvernement espagnol a fait l'expérience de cette mesure, restreignant son équivalent de l'AME en 2012 aux seuls soins urgents, ce qui a immédiatement provoqué une surmortalité de 15% et une explosion des dépenses hospitalières, les obligeant à revenir rapidement en arrière. Aujourd'hui, certains souhaitent que nous fassions en France la même erreur funeste.

Le fait que cet amendement soit un non-sens d'un point de vue économique, et un grand risque pour la santé publique est tout à fait secondaire pour ses rédacteurs qui entendent éviter "l'appel d'air" migratoire que cette politique publique susciterait selon eux, le RN parle même de "tourisme médical". De nombreuses études démographiques montrent que ce raisonnement est fallacieux et que la migration pour raison de santé est extrêmement minoritaire parmi les motifs de départ des pays d'origine, le SAMU social de Paris a aussi montré que seuls 50% des potentiels bénéficiaires de l'AME avaient déposé une demande d'ouverture de droits. Il faut aussi rappeler que la plupart des bénéficiaires sont des travailleurs sans papiers, qui sont exploités par l'économie française : ce sont les livreurs à vélo, les ouvriers du BTP, les plongeurs dans les restaus, qui enrichissent des patrons sans bénéficier de la moindre protection sociale par leur travail.

Gérald Darmanin, interrogé sur la loi immigration, s'est pourtant dit "favorable à la proposition faite par les LR et par les centristes de supprimer l’AME et la transformer en AMU, aide médicale d’urgence", s'opposant aux avis des trois derniers ministres de la santé, ainsi qu'à l'avis de tous les sociétés savantes médicales : collèges d'infectiologie, réanimation, pédiatrie, urgentistes, santé publique, gynécologie. Mais pourtant il n'est pas seul, et ce projet a des bonnes chances de passer : Elisabeth Borne juge aussi "légitime de réinterroger l'AME". Nous considérons néanmoins qu'aucun des arguments cités au-dessus n'a la moindre valeur, puisque la dignité humaine est infiniment plus importante que n'importe quelle considération médico-économique, et qu'absolument rien ne pourrait justifier de laisser souffrir ou mourir un Humain.

Communiqué tiré du  blog de Félix Wolfram

detailed_v4.jpg

 

18:21 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ame, aide médicale d'état, sénat, immigration, droit à la santé | |  Facebook | |  Imprimer |