La défense des libertés est devenue le sujet le plus brûlant de la période. (03/05/2023)
Tribune du président de la LDH, Patrick Baudouin, et de ses présidents et présidente d’honneur : Henri Leclerc, Jean-Pierre Dubois, Pierre Tartakowsky, Françoise Dumont, Malik Salemkour.
Depuis quelques jours, le procès est instruit, tambour battant. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) ne serait plus elle-même, elle aurait changé, basculé du côté obscur des forces ennemies de la République, islamistes et autres « écoterroristes »… Les procureurs se bousculent : un ministre de l’intérieur, une première ministre s’activent aux côtés d’une brochette de polémistes toujours prompts à chasser en meute le « droit-de-l’Hommiste ». L’un propose que l’on examine de près ses ressources, l’autre enfonce le clou.
Qui a changé ? Certainement pas la LDH. Fondée dans la lutte contre l’antisémitisme et une raison d’Etat prévalant sur les droits de l’Homme et du citoyen, elle n’a jamais renié les principes de défense universelle des droits qui la guident depuis cent vingt-cinq ans. Contre la peine de mort, elle a défendu le droit à la vie ; contre l’arbitraire des tribunaux militaires, elle a obtenu leur dissolution ; contre la torture et les traitements dégradants, elle a défendu le droit à un procès équitable. Elle s’est dressée contre l’intrusion proliférante des fichiers, elle a campé aux côtés des indépendantistes kanaks, joué un rôle dans le processus de paix au Pays basque, combattu les violences policières, quels que soient les gouvernements en place.
Elle a fait vivre la fraternité aux côtés des migrants et des sans-papiers, elle combat aujourd’hui pour l’effectivité du droit à l’interruption volontaire de grossesse, accompagne les manifestations pacifiques pour une vraie politique face au changement climatique. La LDH, oui, considère, même lorsque cela dérange les pouvoirs en place, que les droits fondamentaux valent pour toutes et tous. Qu’ils valent donc pour des personnes dont elle n’approuve rien des idées ni des actes, qu’il s’agisse des collaborateurs en 1945 ou des djihadistes d’aujourd’hui.
Etranges « libéraux »
Certes, cela agace ; mais qui a changé ? Certainement pas la LDH, bien au contraire, et c’est ce qui déclenche cette attaque, au caractère réfléchi et qui vise plus large qu’il n’y paraît. Qui a changé ? Celles et ceux-là mêmes qui nous font ce procès, ces étranges « libéraux » qui, par-delà la LDH, mettent en œuvre la mise en cause de l’ensemble des garanties des libertés publiques. Comme s’il s’agissait d’intimider tout acteur indépendant et critique à un moment… tout aussi critique.
La liberté de manifester ? Elle est mise en cause par le durcissement des instructions données aux forces de police et de gendarmerie, y compris à l’égard de citoyennes et citoyens non violents. Cela se traduit par des blessures graves, des mutilations, voire pire, et par une instrumentalisation toxique des forces de police. On assiste ainsi au retour des charges de brigades mobiles à moto, proscrites depuis la mort de Malik Oussekine en 1986, et à un usage disproportionné d’armes qu’aucune autre police européenne n’emploie en pareil cas. A Sainte-Soline (Deux-Sèvres), de nombreux manifestants ont été blessés, dont deux en danger de mort, tardivement secourus.
A Paris, des manifestations ont été interdites au dernier moment et si discrètement que la justice administrative a désavoué le préfet de police. Ajoutons que la pratique devenue systématique d’interpellations « préventives » a empêché de manifester des centaines de citoyennes et citoyens qui n’ont évidemment fait ensuite l’objet d’aucune poursuite. La liberté d’association est logée à la même enseigne. Depuis 2021, le décret sur le prétendu « contrat » d’engagement républicain vise à asphyxier les associations indépendantes et critiques, dont plusieurs ont déjà été l’objet d’intimidations préfectorales.
Chaque événement semble propice à ce gouvernement pour renforcer un appareil sécuritaire. La surveillance systématique de la population va augmenter du fait de la loi récente utilisant la perspective des Jeux olympiques pour introduire la surveillance de millions de personnes à la recherche de « comportements anormaux » par des drones et des caméras dites « intelligentes ».
Les droits des étrangers, y compris le droit d’asile, vont à nouveau être restreints par un ensemble de lois dont le président de la République semble avoir déjà décidé du contenu. Et, comme toujours, la chasse aux étrangers continuera d’affaiblir les droits de toutes et tous. S’il n’avait tenu qu’à ce gouvernement, tous les enfants français de Syrie continueraient de croupir dans des camps. La LDH a été en première ligne du combat humanitaire pour leur rapatriement, inachevé à ce jour. Aujourd’hui, l’exécutif en vient à ficher ces mêmes enfants « préventivement » en présumant une sorte d’hérédité terroriste. De ce côté-là, hélas, rien ne change…
Crise démocratique profonde
Le moment de ces attaques n’a rien de mystérieux : démocratie et libertés ont toujours partie liée. Or, le passage en force d’un pouvoir privé de majorité parlementaire, désavoué par une large majorité de citoyennes et citoyens, et contesté par la totalité des organisations syndicales de ce pays, vient de mettre en lumière un blocage sans précédent de l’agenda politique du « monarque républicain » et une crise démocratique profonde, touchant à la fois le fonctionnement réel des institutions de la République, le dialogue social, la confiance des citoyennes et citoyens en celles et ceux qui ont le devoir de les représenter et de les respecter.
Tout se passe comme si le pouvoir actuel avait en tête, avec ce tournant autoritaire, de pouvoir sortir de son impasse politique en recherchant à tout prix une nouvelle majorité sans rivages à droite. Agresser la LDH dans ce contexte est de bonne tactique. Tant pis si les citoyennes et citoyens ont été trompés, à qui l’on avait demandé de voter contre l’extrême droite et qui avaient entendu le vainqueur par défaut de la présidentielle en 2022 assurer : « J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir. » Tant pis s’ils doivent subir la régression des droits à laquelle ils pensaient faire barrage. Tant pis si tout cela ouvre la voie au pire.
La défense des libertés est ainsi devenue le sujet le plus brûlant de la période : le mépris de la démocratie parlementaire comme sociale s’étend désormais aux droits fondamentaux. C’est pourquoi la Ligue des droits de l’Homme ne changera pas. Changer serait renoncer à assurer pleinement la mission qui est sa raison d’être aujourd’hui comme hier. Qu’on n’y compte pas : nous appelons au contraire l’ensemble des citoyennes et citoyens et des organisations attachées au respect de l’Etat de droit à se mobiliser face à des gouvernants qui semblent avoir perdu plus que leur sang-froid : le sens même de leurs responsabilités.
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