L’Afghanistan en proie à la famine (17/11/2021)

Extraits du communiqué d'Human Rights Watch le 11 novembre 2021

Les pays donateurs, les Nations Unies et les institutions financières internationales devraient de toute urgence remédier à l’effondrement de l’économie et du système bancaire en Afghanistan afin de prévenir une famine généralisée, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Le Programme alimentaire mondial de l’ONU a lancé plusieurs avertissements  quant à l’aggravation de l’insécurité alimentaire en Afghanistan, et au risque de très nombreux décès dus à la faim sur l’ensemble du territoire dans les prochains mois. Les médias ont signalé que des familles en manque d’argent et de nourriture vendaient leurs biens et essayaient de fuir le pays par voie terrestre. Des personnes afghanes démunies en proie à la malnutrition ont détaillé leurs tentatives désespérées pour acheter ou rechercher de la nourriture, et ont rapporté la mort de personnes n’ayant pas pu partir.

« L’économie et les services sociaux de l’Afghanistan sont en train de s’effondrer alors que, dans tout le pays, la population souffre déjà de malnutrition aiguë », a déclaré John Sifton, directeur du plaidoyer auprès de la division Asie à Human Rights Watch. « L’aide humanitaire est cruciale, mais compte tenu de la crise, les gouvernements, les Nations Unies et les institutions financières internationales doivent de toute urgence adapter les restrictions et les sanctions en vigueur portant sur l’économie et le secteur bancaire du pays. »

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La crise financière a particulièrement touché les femmes et les filles, qui doivent faire face à des obstacles sans commune mesure pour obtenir de la nourriture, des soins de santé et des ressources financières. Les interdictions établies par les talibans qui empêchent les femmes d’accéder aux emplois les mieux rémunérés ont frappé très cruellement les ménages où les femmes étaient les principales sources de revenus. Même dans les régions où les femmes sont encore autorisées à travailler, notamment dans les secteurs de l’éducation et des soins de santé, elles sont parfois dans l’incapacité de se plier aux obligations des talibans selon lesquelles elles doivent être accompagnées d’un membre masculin de leur famille pour se rendre sur leur lieu de travail et chez elles. Les  récits de familles ayant vendu leurs enfants (presque toujours des filles) vraisemblablement en mariage afin de s’acheter de la nourriture ou de rembourser une dette sont de plus en plus réguliers dans les médias.

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Témoignages d’Afghan·e·s sur la crise humanitaire

Dans différentes provinces, des Afghan·e·s ont déclaré que les salaires avaient quasiment disparu dans la plupart des secteurs, en particulier dans les zones urbaines, et que les prix alimentaires augmentaient rapidement. Selon certains témoignages, des familles ont vendu leurs biens ou leurs enfants pour payer des trafiquants et pouvoir quitter le pays.

« Farid » (pseudonyme) a expliqué qu’il avait fui récemment en Iran, mais que les autorités iraniennes l’avaient mis en prison, puis expulsé. Il a rapporté avoir vu des centaines de familles, souvent avec de jeunes enfants, essayer de fuir le pays avec peu d’argent, de nourriture et de vêtements. Il a déclaré qu’il n’avait désormais plus les moyens de subvenir aux besoins de sa famille ou d’acheter à manger :

« Nous n’avons pas assez à manger... Nous ne mangeons qu’une fois par jour. Avec l’hiver qui arrive, la situation risque encore de s’envenimer. Le gouvernement afghan [taliban] n’a pas établi de plan clair pour résoudre le problème de la faim, et je doute que la communauté internationale en ait un. Ce qui est clair en revanche, c’est que bientôt la majorité de la population afghane va mourir simplement parce qu’elle n’a rien à manger, et comme toujours, personne ne s’en souciera. »

Il a expliqué que les trafiquants profitaient de la situation pour faire payer 500 à 700 dollars aux personnes pour les introduire clandestinement en Iran. « J’ai vu aussi des cadavres de personnes mortes dans les déserts menant à la frontière », a-t-il ajouté. « J’ai dû vendre tout ce que j’avais pour pouvoir payer les trafiquants. »

« Sharzad », une femme vivant dans le sud-est de l’Afghanistan, a déclaré que la situation humanitaire était « pire que ce que les médias laissent paraître ». Elle a précisé : « Les commerces sont fermés, les filles ne vont pas à l’école. Les banques ne donnent qu’un montant fixe, et il faut faire la queue longtemps rien que pour cette somme... La situation est très mauvaise. Les gens sont très pauvres. »

Elle a rapporté avoir assisté à des « scènes horribles » au bazar : « De jeunes enfants imploraient chacune des personnes entrant dans la boulangerie de leur acheter du pain, mais aucune d’elles ne pouvait se permettre d’acheter rien qu’un pain de plus pour ces enfants. »

Elle a expliqué que les prix augmentaient tous les jours et que selon elle, des gens allaient mourir cet hiver :

« L’hiver est très froid, et nous ne pouvons pas chauffer nos maisons. Personne ne travaille, en particulier les femmes, et même celles qui travaillaient auparavant n’ont pas encore été payées. Une voisine m’a raconté hier qu’elle n’avait plus rien à donner à manger à ses enfants. Chaque soir, elle met sa burqa et emmène ses sept enfants pour faire du porte-à-porte au cas où quelqu’un pourrait partager son repas avec eux. Ils ne mangent qu’une fois par jour si quelqu’un leur donne un peu de nourriture. Une famille lui a proposé d’acheter sa fille, âgée d'un an seulement, pour 600 dollars, mais elle a refusé car elle voulait garder sa fille. »

« C’est un vrai cauchemar, personne au monde n’aurait jamais pu imaginer cela », a-t-elle conclu.

« Sitara » a décrit des personnes à la recherche de nourriture dans les champs après récolte :

« J’ai assisté à l’une des pires scènes qu’il m’ait été donné de voir : un vieil homme accompagné de ses enfants parcourait les champs de pommes de terre dans l’espoir d’en trouver quelques-unes laissées à l’abandon, afin de pouvoir manger ce soir-là, alors que la récolte avait été faite deux mois auparavant. Si les talibans et la communauté internationale ne prêtent pas attention et n’aident pas la population, tout le monde va mourir. »

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Une foule d’Afghans attendait devant une banque à Kaboul, le 21 septembre 2021, dans l’espoir de pouvoir retirer de l’argent. Ces derniers mois, la chute de revenus et le manque de liquidités ont aggravé l'insécurité alimentaire dans ce pays. © 2021 Haroon Sabawoon/Anadolu Agency via Getty Images

22:07 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : afghanistan, talibans, famine, human rights watch | |  Facebook | |  Imprimer |