De Caussade à Vittel, contre-exemples d'un juste partage de l’eau (23/03/2020)
Dans le Lot-et-Garonne, le barrage de Caussade sur le petit cours d’eau du Tolzac cristallise les tensions entre une poignée d’agriculteurs irrigants, ayant construit illégalement l’ouvrage, et des habitants soucieux de l’intérêt général. Dans les Vosges, la surexploitation de la nappe phréatique de Vittel oppose la multinationale Nestlé Waters et la population locale. Deux conflits, un même problème de taille : un partage inéquitable de l’eau, au seul profit d’intérêts privés pour une ressource aussi rare que précieuse. Décryptage de France Nature Environnement, mobilisée dans ces deux cas aux côtés de ses associations locales.
Vittel, Caussade : de l’appropriation d’une ressource commune par des intérêts privés.
Intérêts privés contre intérêt général, tel est le nerf de la guerre de l’eau menée à Vittel et sur le barrage de Caussade.
À Vittel, l’association Vosges Nature Environnement fait face, avec d’autres associations amies, au géant Nestlé Waters. La nappe phréatique de la ville présente un déficit chronique de l’ordre de 1 million de m3 d’eau dans sa partie inférieure : c’est précisément le volume de prélèvements accordé à la multinationale par le préfet des Vosges, dans cette même partie de la nappe1. Le géant de l’agroalimentaire embouteille l’eau pour l’exporter quand, pendant un temps, il a été envisagé de créer un pipeline de plusieurs dizaines de kilomètres pour alimenter en eau potable les habitants de Vittel. Si le pipeline a finalement été abandonné, l’industriel pompe toujours. Cet accaparement de la ressource est à l’origine de dangereux déséquilibres. Le renouvellement de la nappe n’est plus assuré, l’alimentation en eau potable des populations est menacée, les sécheresses futures amplifiées… des conséquences lourdes, pour un territoire pourtant naturellement bien doté en eau.
Du côté du Lot-et-Garonne, c’est la SEPANSO qui voit des intérêts privés réaliser un rapt sur l’eau, dans un territoire bien plus sec. Sur un petit cours d’eau, le Tolzac, le barrage de Caussade a été construit illégalement par et pour une poignée d’agriculteurs irrigants. Malgré plusieurs décisions de justice rappelant l’illégalité du barrage, rien n’y fait. L’État laisse les irrigants s’approprier les eaux de la rivière dont l’écoulement est désormais perturbé. Ces quelques agriculteurs avancent que ce stockage d’eau leur permettra de faire face aux sécheresses. Pourtant, les études sont catégoriques : plus l’eau est stockée, moins elle est rendue aux milieux naturels, plus les sécheresses sont graves. Le cercle vicieux, au profit d’intérêts privés, est enclenché et renforce les déséquilibres en eau déjà très présents dans le Sud-Ouest.
Au sein du mouvement France Nature Environnement, un profond sentiment d’injustice émerge face à cet accaparement d’une ressource indispensable, rare et vitale, par des intérêts purement privés au détriment de l’ensemble du monde vivant. Nous militons ainsi pour remettre l’intérêt général au cœur des usages de l’eau.
L’eau, une ressource en tension
Car l’eau se trouve aujourd’hui face à une double pression. D’un côté, notre consommation explose.
De l’autre, les ressources en eau se raréfient. Si la planète contient toujours la même quantité globale d’eau, le dérèglement climatique perturbe fortement la répartition des précipitations. En 2014, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) nous alertait ainsi : pour chaque degré de plus, environ 7% de la population mondiale perdrait au moins 20% de ses ressources en eau renouvelable. Nous constatons déjà aujourd’hui les effets sur certains territoires de ces tensions : conflits d’usage, ravitaillement d’eau par camions, épisodes de sécheresse récurrents, plus longs et plus sévères, pluies torrentielles provoquant des inondations par ruissellement, etc.
Ne plus gaspiller l’eau et respecter un ordre de priorités dans les usages.
Ne pas gaspiller l’eau se révèle indispensable tout comme le fait de prioriser notre utilisation : quand la pénurie guette, il serait illogique de remplir une piscine en vidant les verres d’eau. C’est la logique assez simple établie par le code de l’environnement. Dans sa « hiérarchisation des usages de l’eau pour aboutir une gestion équilibrée de la ressource », il priorise les besoins du vital à l’adaptable :
- En premier lieu, l’eau doit être prélevée pour alimenter en eau potable la population, satisfaire les exigences de la santé, de salubrité publique, de sécurité civile. En somme, permettre à chaque citoyen de boire et vivre dans de bonnes conditions sanitaires.
- En deuxième lieu, vient la préservation de la vie aquatique et le libre écoulement des eaux. Le but ? Assurer la (sur)vie des espèces animales et végétales aquatiques et permettre que l’eau s’écoule de bout en bout en étant disponible à tout moment de l’année et pour tout le monde.
- Enfin, en dernier lieu, vient la satisfaction des usages économiques et de loisirs : l’irrigation, les usages industriels ou encore, côté loisirs, les piscines. Ils sont certes importants mais ne conditionnent pas directement notre survie et celle du monde vivant.
Cette hiérarchie n’est donc nullement arbitraire : elle répond d’abord à nos besoins vitaux, puis au fait de ne pas complètement dérégler le milieu naturel au risque de dégrader nos conditions de vie, pour enfin répondre à des besoins industriels, agricoles et de loisirs.
À Vittel comme autour du barrage de Caussade, ce sont pourtant ces intérêts privés qui priment et accaparent la ressource locale, allant à l’encontre d’un partage juste de l’eau.
Que faire pour mieux partager l’eau ?
Alors, que faire ? France Nature Environnement a bien des idées.
1. Arrêtons les gaspillages. La sobriété des usages de l’eau doit être une priorité, pour tous les acteurs. Au cours du siècle dernier, les prélèvements à l’échelle mondiale ont augmenté 1.7 fois plus vite que la population mondiale2. La transition agroécologique est notamment un levier important, elle doit être soutenue grâce à un accompagnement au changement permettant une meilleure résilience de l’agriculture face aux changements climatiques. Il est urgent de favoriser les cultures adaptées aux conditions du sol et du climat et moins consommatrices d’eau.
2. Une utilisation publique et concertée de l’eau. Pour faire face aux conflits d’usage liés à l’eau, France Nature Environnement soutient une gestion collective, publique et une gouvernance partagée par tous les usagers de l'eau. Notre fédération considère qu'il est indispensable de garantir une eau en quantité suffisante pour assurer le bon fonctionnement des milieux aquatiques et la sécurité de l’alimentation en eau potable, puis calibrer et satisfaire ensuite les autres usages humains (agricoles, énergétiques, industriels) de façon durable. Cette exigence doit s’appliquer aux cas de Vittel et Caussade ;
A Vittel, le préfet, en référence à la loi sur l’eau, doit mettre un terme aux autorisations de prélèvements accordées indument à Nestlé Waters depuis 1992 dans la nappe inférieure. Ils causent la surexploitation de la nappe. Il s'avère nécessaire de satisfaire en priorité les besoins de la population locale en eau potable et les besoins des milieux. C’est indispensable pour une gestion de la ressource équilibrée sur ce territoire ;
3. Ne plus dégrader le cycle naturel de l’eau et profiter de ses bienfaits. La désimperméabilisation des sols et la restauration du bon fonctionnement des cours d’eau est une solution pour l’adaptation aux changements climatiques. En ville comme en campagne, permettre l’infiltration naturelle des eaux de pluie et laisser des espaces d’expansion à des cours d’eau autrefois canalisés sont des moyens efficaces de lutter contre le ruissellement et les inondations. De plus, pour recharger les nappes souterraines et in fine les cours d’eau, rien de mieux que des sols et des milieux perméables, vivants, permettant de réguler la disponibilité de la ressource tout au long de l’année ; Laisser des espaces à l’eau et aux milieux aquatiques et humides en ville, c’est aussi s’assurer des îlots de fraîcheurs bienvenus en cas de canicule.
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