« Nous avons aidé, nous aidons et aiderons toute personne migrante dans le besoin » (30/05/2018)

Tribune.
Le samedi 21 avril, quelques dizaines de militants du mouvement extrémiste Génération identitaire se retrouvent au col de l’Echelle, dans les Alpes, avec pour objectif de bloquer l’arrivée des personnes migrantes et de les renvoyer vers l’Italie, quitte à les mettre en danger. Ils déploient des banderoles haineuses et matérialisent symboliquement la frontière avec une barrière de chantier. Ils s’instaurent en milice, dont les slogans et motivations sont clairement racistes.
Nous rappelons que les provocations publiques à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale constituent un délit (art. 24, alinéa 6, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) punissable d’un an d’emprisonnement et/ou d’une amende de 45 000 euros au plus. Les forces de l’ordre ne sont pas intervenues pour mettre fin à cette action, la considérant donc, implicitement, comme tout à fait légale. Le ministre de l’intérieur lui-même a d’ailleurs minoré ces faits en les qualifiant de « gesticulations ».


En réaction à cela, plus de 160 personnes solidaires ont lancé un cortège spontané pour passer la frontière avec des personnes migrantes. Contrairement aux identitaires, les solidaires se sont heurtés à un cordon de gendarmes, qui ont finalement laissé la manifestation avoir lieu.
Quelques heures plus tard, alors que le cortège était terminé depuis longtemps, trois jeunes gens qui en faisaient partie, Bastien et Théo, deux Suisses, et Eleonora, une Italienne, ont été arrêtés et placés en garde à vue. Ils sont restés en détention provisoire à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille pendant neuf jours avant d’être libérés le 3 mai. Leur procès a été fixé à la date du 31 mai.

Poursuivis pour « aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière en bande organisée », ils encourent une peine allant jusqu’à dix ans de prison et 750 000 euros d’amende, assortie d’une interdiction de pénétrer sur le territoire français. Bastien, Théo et Eleonora s’ajoutent à la longue liste de ceux que les médias ont appelés « délinquants solidaires » : Pierre-Alain, Francesca, René, Dan, Sylvain, Françoise, Raphaël, Martine, Cédric… Tous condamnés selon les articles L.622-1 et L.622-4 du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), communément appelé le « délit de solidarité ».


Cet article a d’ailleurs été légèrement modifié par l’Assemblée nationale française le lendemain des faits relatés ci-dessus, lors de l’adoption du controversé projet de loi « asile et immigration » en première lecture. L’aide à la circulation ou au séjour irrégulier pourrait ne plus donner lieu à des poursuites pénales si « l’acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l’accompagnement, […] des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif ».


Fraternité illégale
Force est de constater que la preuve repose sur le simple citoyen et non pas sur le parquet, et que la notion de « contrepartie directe ou indirecte » est suffisamment floue pour permettre des poursuites pénales, alors que l’action n’est dictée que par le seul souci d’humanité et mue par la mise en œuvre de la fraternité, devise de la République. Rappelons par exemple que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a reproché à Cédric Herrou une « contrepartie militante ». C’est pourquoi cette modification est inutile, et hypocrite.
Nous rappelons que la demande d’asile à la frontière est un droit fondamental très souvent bafoué par l’Etat français, créant des situations complexes, avec des personnes qui n’ont effectivement pas accès à leurs droits et qui sont considérées « en situation irrégulière ». Des citoyens se trouvent confrontés à cette réalité, décident de les aider, et réagissent pour beaucoup impulsivement.


Ils sont poursuivis pour aide à l’entrée, au séjour et à la circulation de personnes en « situation irrégulière », termes d’une froideur déshumanisante qui invitent à considérer les personnes migrantes dépossédées de leurs droits comme des sous-hommes… Avant d’agir pour assurer la dignité de la personne en face de soi, il faudrait l’interroger sur sa situation administrative, alors même que ce contrôle ne relève pas du citoyen.
Aussi, s’il devient dangereux, illégal, d’aider ces « sous-hommes », alors que devient notre devise républicaine, et que deviennent nos valeurs d’égalité et de fraternité ? Nous, citoyens de la République française, déclarons que nous avons déjà aidé, que nous aidons actuellement, et que nous aiderons à l’avenir toute personne migrante dans le besoin, même en situation irrégulière, au nom des valeurs d’égalité et de fraternité inscrites dans notre devise nationale, qui est le socle de notre République.

 

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Cédric Herrou à son arrivée au tribunal correctionnel de Nice le 4 janvier 2017. Crédit : Claude Paris/AP/SIPA

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