Le programme de recherche Tchernobyl + Fukushima (18/08/2014)

Si les dangers du nucléaire sont communément admis, peu d'études de terrain ont mesuré les conséquences à court et à long terme d'une contamination radioactive. Les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima ont  malheureusement rendu possibles des telles études en dehors de laboratoires.

Le siège du programme de recherche  Tchernobyl + Fukushima (CFRI) se trouve à l’Université de Caroline du Sud, à Columbia. Les recherches ont commencé officiellement en Ukraine en 2000, et à Fukushima en juillet 2011. À ce jour, le groupe a mené plus de 30 expéditions de recherche à Tchernobyl et 10 expéditions à Fukushima.

À Tchernobyl comme à Fukushima, les accidents nucléaires ont émis d’énormes quantités d’éléments radioactifs qui ont été dispersés par les conditions météo dominantes à l’échelle du paysage. Quelque 200 000  km2  (Tchernobyl) et 15 000 km2 (Fukushima) ont été lourdement contaminés. Les matériaux radioactifs ne se sont pas dispersés de manière uniforme et ont créé une mosaïque de micro-habitats « chauds » et « froids » disséminés sur toute la région. Ce patchwork radioactif nous a donné une opportunité unique d’observer les effets génétiques, écologiques et les effets liés à l’évolution avec beaucoup de détail et de répétition et donc une grande rigueur scientifique, qui ne serait pas possible en laboratoire ou avec des études de terrain traditionnelles, souvent soumises aux contraintes d’une gamme limitée et plutôt peu naturelle d’hétérogénéité environnementale. Ceci est un aspect important car on peut présumer que les interactions entre les facteurs environnementaux naturels et les contaminants radioactifs jouent probablement un rôle déterminant dans les conséquences biologiques des catastrophes en question. Il est donc indispensable que les études sur les effets des radiations soient menées dans la nature, à l’échelle des régions. Les études portant sur les seules populations humaines présentent de nombreuses contraintes qui limitent leur utilité quand il s’agit d’essayer de comprendre les conséquences à long terme des radiations.

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Voici les points essentiels des recherches publiées par le programme de recherche de Tchernobyl + Fukushima :

• La taille des populations et le nombre d’espèces (c’est-à-dire la biodiversité) d’oiseaux, mammifères, insectes et araignées sont nettement inférieures dans les zones hautement contaminées de Tchernobyl.

• Chez de nombreux oiseaux et petits mammifères, la durée de vie et la fertilité sont réduites dans les zones de forte contamination.

• À Fukushima, seuls les oiseaux, les papillons et les cigales ont connu un déclin significatif durant le premier été suivant l’accident. Les autres groupes n’avaient pas souffert d’effets négatifs. Les efforts continuent pour repérer les changements qui pourraient affecter ces populations au fil du temps.

• On observe une grande variabilité chez les différentes espèces quant à leur sensibilité aux radionucléides. Quelques espèces ne sont pas affectées et certaines semblent même augmenter en nombre dans les zones fortement contaminées à Tchernobyl comme à Fukushima. Ceci est dû, on peut le présumer, à la disparition de la concurrence (donc davantage de nourriture et d’habitat disponible), à la réduction du nombre des prédateurs et peut-être à une adaptation aux effets des radiations.

• Beaucoup d’espèces montrent des signes de dommages génétiques suite à une exposition aiguë ; les différences observées entre Tchernobyl et Fukushima suggèrent que certaines espèces pourraient montrer les conséquences d’une accumulation de mutations sur plusieurs générations.

• Certains individus et espèces ne montrent aucune évidence de dommage génétique lié à l’exposition aux radiations et certains montrent même des signes d’adaptation évolutive aux effets des radiations grâce à une augmentation de l’activité antioxydante qui peut offrir une protection contre les radiations ionisantes.

• Les espèces d’oiseaux les plus susceptibles de connaître une réduction de leur nombre à cause des radiations sont celles qui historiquement ont vu une augmentation de leur taux de mutation pour d’autres raisons, liées peut-être à la capacité de réparation de leur ADN ou au déclin de leurs défenses contre le stress oxydant.

• Les effets délétères de l’exposition aux radiations observés chez les populations naturelles de Tchernobyl comprennent une augmentation des taux de cataractes, de tumeurs, d’anomalies de croissance, des déformations des spermatozoïdes, des cas de stérilité et d’albinisme.

• Le développement neurologique est lui aussi affecté comme le prouve une réduction de la taille du cerveau chez les oiseaux et les rongeurs ; des répercussions sur les capacités cognitives et les taux de survie ont également été démontrées chez les oiseaux.

• À Fukushima, les premiers signes d’anomalies du développement ont été observés chez les oiseaux en 2013, mais on n’a pas encore mis en évidence de dommages génétiques importants chez les oiseaux et les rongeurs.

• La croissance des arbres et la décomposition microbienne dans le sol sont également ralenties dans les zones fortement contaminées par les radiations.

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Pissenlits mutants à Fukushima (Photo de Timothy Mousseau)

En résumé, ces résultats démontrent clairement que ces catastrophes nucléaires ont eu des conséquences à l’échelle de l’environnement  sur les individus, les populations et les écosystèmes ; nombreux sont les exemples d’anomalies du développement et de difformités qui contribuent probablement à la réduction de l’abondance et de la biodiversité observée dans les régions radioactives de Tchernobyl et de Fukushima. Ces résultats s’opposent nettement à l’optimisme des affirmations sans preuves avancées par le Forum de Tchernobyl (ONU) et les membres du Comité scientifique des Nations Unies sur les effets des radiations (UNSCEAR). Les études devront être poursuivies pour déterminer non seulement le temps d’adaptation des populations et des communautés à cette perturbation, mais aussi si ces régions seront un jour à nouveau habitables et si oui, à partir de quand.

22:11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : accident nucléaire, fukushima, tchernobyl | |  Facebook | |  Imprimer |