Amnistie sociale : la position de Christophe Léonard (20/05/2013)

Le PS a fait voter à l'assemblée le renvoi en commission de la loi d'amnistie sociale, ce qui correspond le plus souvent à la mise aux oubliettes.

Lors de ce débat, Christophe Léonard, député des Ardennes a fait une intervention que nous reproduisons ici d'après la transcription du site "nosdeputes.fr".

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, que nous examinons ce matin, a été adoptée par toute la gauche au Sénat le 27 février dernier, par 174 voix pour et 171 voix contre.

En vertu du préambule de notre Constitution, qui permet à chaque citoyen de défendre ses droits et intérêts par l'action syndicale, mais aussi de participer à la détermination des conditions de travail et à la gestion des entreprises, comme de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », cette proposition de loi a pour objectif de rendre justice à celles et ceux qui, dans un contexte d'extrême tension sociale, se sont exprimés pour faire respecter leurs droits fondamentaux.

amnistie sociale,ps,christophe leonardBien sûr, j'entends les arguments de ceux pour qui voter ce texte reviendrait à donner un permis de dégrader en toute impunité. Mais alors, qu'ils exigent parallèlement la même sévérité envers les patrons voyous, comme ce repreneur américain qui, dans les Ardennes, après avoir dépecé les ateliers Thomé-Génot et laissé 300 salariés sur le carreau, vit aujourd'hui des jours heureux à Los Angeles, alors qu'il a été condamné par le tribunal correctionnel de Reims à cinq ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de gérer et 20 millions d'euros de dommages et intérêts pour abus de biens sociaux et banqueroute.

Les condamnations prononcées en première instance dans les Ardennes à l'encontre de huit manifestants lors de la grève du 28 octobre 2010 contre la réforme des retraites doivent être regardées et analysées à l'aune de cette incapacité judiciaire d'obtenir l'extradition de ce ressortissant américain. Relaxées en appel, ces huit personnes sont actuellement dans l'attente de l'examen du pourvoi en cassation initié par le parquet général.

Alors, qu'entend-t-on par violence sociale ? Vitrines cassées ou familles brisées ?

Le « deux poids, deux mesures » judiciaire existe bel et bien, selon que vous êtes puissant ou misérable.

Dès lors, s'il n'est pas question d'autoriser quelque impunité que ce soit, d'un côté ou de l'autre, il est en revanche nécessaire, pour notre démocratie, d'équilibrer les deux plateaux de la balance judiciaire.

D'autant que, sous la majorité précédente, les autorités ont délibérément pris le parti de judiciariser toute action syndicale et revendicative, pour mieux les museler.

Souvenons-nous de Nicolas Sarkozy durant la dernière campagne présidentielle, et de ses attaques répétées contre « les corps intermédiaires qui font écran entre l'État et le peuple ».

Ce texte a par conséquent le mérite de nous interpeller sur les réponses à apporter aux questions légitimes des salariés victimes de la guerre économique.

Il est en effet impératif pour notre République de trouver des réponses à la situation d'impunité dans laquelle se trouve l'ancien patron des ateliers Thomé-Génot, et de résoudre le paradoxe des temps judiciaires auquel sont confrontés les ex-salariés de l'entreprise Ardennes Forge à Nouzonville. Ils vont prochainement recevoir la visite des huissiers, à la suite de la réformation en appel pour absence de travail dissimulé du jugement des prud'hommes qui leur avait alloué des dommages et intérêts. Mais parallèlement, une procédure judiciaire est en cours contre leur ancien chef d'entreprise pour travail dissimulé. Concrètement, ce sont des montants individuels de l'ordre de 12 000 à 20 000 euros qu'ils doivent aujourd'hui rembourser à l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés – AGS – alors qu'il est incontestable que la plupart de ces femmes et hommes n'ont pas retrouvé d'emploi et connaissent une situation de forte précarité professionnelle et financière.

Il est également impératif de permettre aux salariés qui perdent leur emploi suite à un abus de bien social de se constituer partie civile contre le responsable fautif de l'entreprise, et donc de corriger l'état actuel de notre droit qui n'y voit aucun préjudice direct. En juillet 2012, la cour d'appel de Reims a ainsi rejeté toutes les demandes de dommages et intérêts des cent trente-trois salariés licenciés par l'entreprise Lenoir et Mernier LCAB, située à Bogny-sur-Meuse, alors que leur ancien PDG a été condamné pour malversation, emplois fictifs, banqueroute, recel et abus de biens sociaux.

Enfin, il faut renforcer et sécuriser les procédures de contrôle de la solidité financière des repreneurs d'entreprises de façon à éviter les patrons voyous.

Je suis convaincu que ce texte doit être encore débattu et enrichi, c'est pourquoi je ne voterai pas la motion de rejet proposée par le groupe UMP. En revanche, son renvoi en commission peut être un temps supplémentaire de travail utile et nécessaire, à la condition qu'il ne s'agisse pas d'un de profundis tactique, mais au contraire d'une main tendue, arrimée à un calendrier politique sérieux et responsable.

À ce stade de notre discussion générale, je veux faire confiance à la sincérité de la démarche proposée.

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