En Argentine, Javier Milei dérégule l’économie et organise la répression sociale (04/01/2024)
Extraits de l'article de Romaric Godin pour Médiapart (repris de site du CADTM)
Javier Milei poursuit sa stratégie du choc pour faire du pays sud-américain la société libertarienne de ses rêves. La stratégie du nouveau président argentin est claire : utiliser sa légitimité issue des urnes pour imposer des changements massifs en assommant et paralysant l’opposition sociale et parlementaire. Et en profiter pour mettre en place les moyens de la répression future pour faire face aux inévitables conséquences sociales et économiques de sa politique.
Un cas d’école de l’application de cette stratégie s’est produit mercredi 27 décembre. Ce jour-là, les syndicats déposaient un recours devant la justice concernant le décret de nécessité et d’urgence (DNU) pris par Javier Milei le 20 décembre, qui modifie des pans entiers de la législation sociale et économique du pays.
À cette occasion, les organisations syndicales organisaient une manifestation qui a été un succès notable et a dépassé les attentes. Mais au moment même où la place Lavalle, devant le palais de justice, était noire de monde et où les manifestants scandaient « Nous ne sommes pas la caste, mais les travailleurs », le président transmettait au Congrès (Parlement) une « loi omnibus » géante de 664 articles prévoyant une nouvelle vague de réformes, allant cette fois de l’éducation à la culture en passant par la justice, la loi électorale, les retraites, les normes environnementales… et la validation du DNU.
Cette provocation de plus est clairement destinée à montrer aux syndicats leur impuissance. D’autant qu’ils sont directement dans le viseur des réformes. Le DNU réduisait considérablement le droit de grève, la « loi omnibus » renforce les sanctions contre les piquets de grèves en prévoyant jusqu’à six ans de prison.
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Une offensive qui va au-delà de l’économie
Ces mesures vont évidemment bien au-delà de la libéralisation entamée en 2015 par le président Mauricio Macri. En revanche, le gouvernement maintient encore les restrictions aux importations et une partie du contrôle des capitaux pour l’instant, ce qui est une concession accordée par le président Milei au regard de son programme initial de dollarisation rapide. Pour autant, ce dernier demeure bel et bien un libertarien. Il a donc, avec la « loi omnibus » engagé une libéralisation et une marchandisation d’autres pans de la société.
Ainsi, le durcissement de la répression syndicale et de la « résistance à l’autorité » va de pair avec un assouplissement de la règle de la légitime défense, pas seulement pour les forces de l’ordre. C’est là une des obsessions des milieux libertariens, même si la libéralisation des ventes d’armes n’est pas (encore ?) au programme.
De nombreuses institutions sont purement et simplement supprimées parce qu’elles ne correspondent pas à la vision mileiste, notamment dans le domaine de la culture, où disparaîtront le Fonds national du théâtre et le Fonds national des arts.
Par ailleurs, conformément à la vision de Murray Rothbard qui considérait que dans une « société libre », il devait y avoir un « droit à la discrimination », Javier Milei supprime l’Institut national contre la discrimination, la xénophobie et le racisme, l’Inadi. Dans la même veine, la loi électorale supprime tout quota de genre.
La jungle de la « loi omnibus » comporte d’autres éléments assez significatifs, comme la possibilité de revendre les tickets pour les événements sportifs ou culturels sur des marchés libres, l’obligation pour les universités, dont les dotations seront par ailleurs gelées, de financer elles-mêmes l’éducation des étudiants étrangers.
Le DNU et la « loi omnibus » dessinent le chemin d’une révolution politique, économique et sociale inédite par son ampleur et sa rapidité. Dans un texte publié le 27 décembre, les parlementaires et les gouverneurs de l’opposition péronistes dénoncent une loi « qui n’a pas d’antécédent dans l’histoire argentine, ni dans celle du monde ». Les péronistes ne pourront cependant bloquer ces textes qu’avec une partie de la droite, notamment les radicaux, jugés les plus rétifs aux projets de Milei et à l’alliance entre la droite macriste et les libertariens.
De leur côté, les syndicats essaient aussi de s’organiser. Ce jeudi 28 décembre, le principal d’entre eux, la CGT, s’est réuni pour définir une stratégie et a appelé à une grève générale pour le 24 janvier prochain. Le syndicat parle d’une « attaque contre les droits individuels et collectifs ». Il faudra cependant à présent s’organiser avec les autres syndicats et définir une stratégie au-delà d’un simple blocage d’une journée.
Les syndicats doivent aussi compter, déjà, avec une répression du ministre de la sécurité, la très droitière Patricia Bullrich qui, mercredi, s’est vanté d’avoir recueilli « 20 000 appels » dénonçant des pressions et des tentatives d’intimidation de la part des syndicats.
Reste que la méthode de Javier Milei comporte des risques. Elle est sans doute très largement à la limite de la légalité. La constitutionnalité du DNU est contestée par beaucoup et, en théorie, ce projet doit être validé par le Congrès dans une procédure spéciale. La décision de l’intégrer dans la « loi omnibus » est sans doute, là encore, très contestable.
Au reste, cette dernière loi devra passer la validation des deux chambres du Parlement avec, pour certains articles, la nécessité d’obtenir la majorité absolue. Le comportement des radicaux et des centristes sera donc décisif.
Mais Javier Milei ne s’en laisse pas conter : il a prévenu qu’il n’accepterait aucune modification au DNU et qu’en cas de rejet, il appellerait à un référendum. Pour lui, le temps est une donnée clé : il faut profiter de l’état de grâce créé par son élection avant que les premiers effets récessifs de ses mesures ne se fassent sentir.
Une chose semble certaine : en bon libertarien, le président argentin est plus soucieux de défendre la propriété et les pouvoirs économiques que la démocratie. Plus que jamais, l’Argentine doit faire face à une contre-révolution majeure qui vise à modifier en profondeur sa société.
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