Grand coutournement ouest de Strasbourg : pourquoi une grève de la faim ? (14/11/2018)
Une grève de la faim. Refuser de se nourrir pour être entendus, écoutés. Après 50 ans de tentatives non violentes, c'est la lourde décision qu'ont pris, le 22 octobre 2018, 10 citoyens engagés pour la préservation de la nature et la protection de la santé des Alsaciens. Ils et elles militent contre la construction du projet d'autoroute A355, aussi appelé Grand contournement ouest de Strasbourg ou « GCO ». En quoi ce projet pose-t-il problème ? Qu'attendent les grévistes de la faim ? Engagés de longue date sur ce dossier, Alsace Nature, FNE Grand Est et France Nature Environnement font le point.
Les grévistes ont faim… d'une écoute... et d’un moratoire !
Le 22 octobre 2018, 10 citoyens et citoyennes ont fait le constat que leurs voix, leurs plumes et leurs mots n'étaient pas entendus et ont décidé de tenter d'attirer l'attention de l'Élysée en entamant une grève de la faim. Cette lourde décision met aujourd'hui en péril leur santé. Sans alimentation autre que des tisanes, 6 personnes la poursuivent en ce 14 novembre. Ils et elles en sont à leur 4ème semaine de grève de la faim : sur les 4 autres, une a dû s’arrêter pour raison médicale et trois pour raisons professionnelles.
Leur détermination est forte, mais leur santé en grand danger, tel que le montre une attestation médicale datée du 11 novembre et le malaise fait par l’un d’entre eux le 12.
Depuis le début, de nombreux membres du mouvement France Nature Environnement et ainsi que de multiples organisations leur ont apporté un soutien par le biais de messages et de plus de 420 journées de jeûnes solidaires. Toutes ces voix demandent une chose : un moratoire sur le projet de Grand Contournement Ouest de Strasbourg, surnommé GCO.
C'est quoi le grand contournement ouest de Strasbourg ?
Conçu dans les années 1970, le projet de Grand Contournement Ouest de Strasbourg est un projet d'autoroute à 2x2 voies de 24 kilomètres entre les villages de Hoerdt et Innenheim. L'idée des concepteurs est de déplacer les bouchons de l'actuelle A35 qui parcourt Strasbourg vers cette nouvelle autoroute. Pour construire ce grand contournement, c’est la destruction de 10 hectares de forêt près de Vendenheim, d’un espace naturel exceptionnel entre les communes de Kolbsheim et Ernolsheim-sur-Bruche, tout comme des terres agricoles parmi les plus fertiles d'Europe qui est prévues. En tout, plus de 300 hectares engloutis et cela sans compter un projet de remembrement portant sur près de 11 000 hectares. Les nombreuses haies, vergers, arbres isolés, zones humides et espèces qui s’y trouvent, à l'image du grand hamster d'Alsace, sont également en péril.
Le projet part du constat que l'A35 qui traverse aujourd'hui Strasbourg est embouteillée à cause d'un trafic important aux heures de pointes : les déplacements en voiture entre le domicile et le travail. À cela s'ajoute des camions qui transitent entre la France et d’autres pays comme l'Allemagne. Or ces derniers représenteraient à l’heure actuelle à peine aux alentours de 10 % du trafic de l’A35. Un contournement comme le GCO est-il une réponse lumineuse au problème d'embouteillage et de pollution que rencontre Strasbourg ? Loin de là.
Pas moins de 7 avis négatifs ou critiques1 ont été prononcés, arguments scientifiques à l’appui, contre l’opportunité de réaliser cette portion d’autoroute à péage. Ces avis émanent de structures s’exprimant de façon indépendante de l’État et des promoteurs du projet. Elles pointent tout comme plus de 20 organisations nationales l’incohérence qu’il y aurait à notre époque de réaliser pareille infrastructure favorisant le tout camion, alors qu’effondrement de la biodiversité, dérèglement du climat et atteintes à la santé par la pollution du transport poids lourds de marchandises nécessitent d’urgence la mise en œuvre d’alternatives que nous réclamons à corps et à cri depuis des décennies.
Il y a bien mieux qu'une nouvelle autoroute pour lutter contre la pollution et les embouteillages
Pour une réponse durable à ces problèmes de trafic, Alsace Nature, FNE Grand Est et France Nature Environnement appellent à s'attaquer au coeur de l'affaire : le tout routier. Côté transport entre le domicile et le travail, 90 % des trajets en automobile sont aujourd'hui réalisés par des personnes seules dans leurs voitures. Un autosolisme fortement générateur de bouchons (et de pollution de l'air). Contre lui, investir dans le développement des transports moins polluants (transports en commun, co-voiturage, infrastructure de vélo...), c'est proposer une solution bien plus pérenne pour lutter contre les embouteillages, la pollution de l'air et le cadre de vie.
Et pour le trafic des camions ? L'exemple allemand est éclairant. La mise en place, en 2006, du péage pour les poids lourds en Allemagne (LKW Maut) a augmenté le trafic à Strasbourg. Un report de 3000 camions s'est effectué sur la rive française du Rhin suite à cela. Il faut dire que la France tend les bras aux poids lourds : l'État a décidé en 2015 d'annuler l'écotaxe, redevance qui aurait permis d'empêcher ce transfert. Chaque année, il accorde également 900 millions d'euros de cadeau fiscal au gazole des poids lourds.
Il faut également avoir en tête que le GCO couplé à un autre projet routier qui se ferait dans la foulée au Nord de l’Alsace dans la forêt allemande du Bienwald, déclencherait en provenance d’Europe du Nord et de l’Est l'arrivée de plusieurs dizaines de milliers de camions par jour. Sans action contre ces privilèges, le trafic n'est pas prêt de se désengorger.
Par contre, si l'État se décide à mettre fin aux privilèges aujourd'hui accordés aux camions et que le trafic côté français diminuait, le contribuable en payerait tout de même la facture : le GCO ne serait pas rentable et ce serait alors les citoyens français et alsaciens qui devraient financer le manque à gagner pour Vinci, concessionnaire de l'autoroute.
Où en est le dossier ?
Les travaux préparatoires du GCO ont débuté suite à une autorisation signée fin août, ne laissant pas la possibilité à la société civile de faire valoir le principe de recours effectif en justice. Concrètement, plutôt que d’attendre que le droit soit interprété à la lumière notamment des avis précités et relevant de la démocratie participative, des citoyen.e.s et des élu.e.s pacifiques ont été fortement choqué.e.s, des arbres centenaires abattus et des collines terrassées. Maigre lot de consolation : au soir du 1er jour de grève, le 22 octobre, le Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire, François de Rugy, ainsi que Elisabeth Borne, Ministre chargée des Transports ont été rencontrés. Le dossier a pu leur être présenté. Le 4 novembre, un membre du cabinet du Président de la République a également été rencontré en marge de l’itinérance mémorielle qui passait alors par Strasbourg.
Et maintenant ?
La question pour les grévistes reste entière. Emmanuel Macron a-t-il personnellement pris connaissance du fait que les 2 arguments majeurs qui ont guidé l’État dans son choix en faveur du GCO n‘ont plus de raisons d’être, contredîtes par des études officielles indiquant que ce projet ne réglerait ni le problème de bouchons, ni celui de la pollution ?
Un Président de la République ainsi informé pourrait légitimement prendre des décisions historiques structurantes et inédites, à commencer par un moratoire sur le projet. Laissons à la justice le temps d'examiner le dossier au fond, avant de commettre l’irréparable et mettons de la cohérence entre les discours et les actes : un moratoire sur le projet permettant de réexaminer le dossier au fond.
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