Chronique « jardins » du week-end. Que faut-il faire des feuilles automnales tombées des arbres ? Dilemme.
Un article de Claude-Marie Vadrot de Politis
Les feuilles mortes ne se ramassent évidemment pas à la pelle (essayez donc !), contrairement à que chantaient Montand et Mouloudji, mais au râteau ou au râteau-balai. Encore que, question quasi existentielle : faut-il vraiment les ramasser ? La nature, même jardinée, par définition, n’est pas un « endroit propre ». Ou bien, position médiane : faut-il vraiment toutes les ramasser ? Soit pour les brûler, soit pour les porter dans des déchetteries souvent sur-encombrées par les déchets végétaux. Une certitude : l’aspirateur (évidemment électrique) à feuilles, tout à tour soufflant et aspirant, possède toutes les caractéristiques d’une aberration écologique. Cela étant dit, une fois rassasié de la douce odeur des feuilles mortes qui commencent à s’accumuler dans mon jardin, au pied des arbres et parfois bien loin sur les plates-bandes et dans les rangs de salades, je finis par agir. Et par mettre en œuvre au long de l’automne, la politique des « quatre tiers » chère au César de Pagnol, au Bar de la Marine. D’autant plus que la pratique du râteau à feuilles, surtout un jour de vent fripon, incite à la méditation sur la fragilité de l’intervention humaine dans le cycle naturel…
Un tiers des feuilles peut rester sur le sol, « rendant leur matière noble aux arbres et à l’herbe », comme l’explique un vieux livre de classe sur les « leçons de choses » récemment trouvé dans un vide-grenier. Un deuxième tiers ira rejoindre un tas de compost de feuilles, le plus simple, à utiliser dans un an. Un troisième protégera le pied ou l’emplacement des plantes et légumes sensibles au froid, artichauts, rhubarbe ou dahlias, par exemple. Et le dernier tiers est épandu sur les surfaces à replanter au printemps. Ces feuilles s’y décomposeront lentement sous l’effet de l’humidité et du froid, et en mars un labour léger suffira à enfouir ce qu’il en reste à titre d’engrais organique contenant de l’azote, du phosphore et de la potasse.
La chasse aux feuilles dépend du courage du moment et du temps disponible : si une partie reste là où elles sont tombées, ce n’est pas grave. Personne ne ramasse les feuilles en forêt et celle-ci s’en porte plutôt bien…Mais si un arbre fruitier a développé une maladie au cours de l’été, mieux vaut ramasser ses feuilles pour les brûler ou les enterrer plus loin, avec les fruits abîmés. Cela évite d’entretenir maladies ou parasites en ces temps d’hivers trop doux pour éliminer naturellement une part normale de ces pestes. Sans oublier que les feuilles de chênes, de châtaignier, de platane ou de noyer se décomposent difficilement, même si à l’usage on s’aperçoit qu’elles finissent par faire de l’humus. Elles sont parfaites pour un paillage protecteur et provisoire, celles du noyer contenant même un produit qui bloque la germination des herbes.
Alors, plutôt de nettoyer la nature des jardins et des parcs, il faut laisser les feuilles se biodégrader. Il ne s’agit pas d’envisager un impossible « retour à la nature » mais, au moins, de respecter celles qui résiste au béton et à l’asphalte. Ce qui diminue, pour les communes qui ont tendance à « nettoyer » leurs espaces verts comme une salle à manger, le montant de la facture électrique et contribue à réduire l’effet de serre. En même temps, cela sauve des dizaines de milliers d’insectes et permet le retour des oiseaux qui s’en nourrissent. L’écologie peut être simple et quotidienne. Et belle comme un automne feuillu.
Les feuilles des arbres, dans la forêt et au jardin, changent d’aspect et de couleur, non pas sous l’influence du gel comme on le croit souvent, mais sous l’influence de la diminution de la durée du jour et des nuits fraîches qui favorisent notamment la production d’une hormone qui donne ses couleurs aux feuilles. Tandis que, recevant de moins en moins de sève, la feuille perd lentement la chlorophylle qui la teinte normalement en vert. Au profit des anthocyanes qui fournissent le rouge tandis que la carotène donne du jaune. Tout ceci étant variable d’une espèce d’arbre à l’autre et même d’une qualité de terre à une autre. Ainsi quand la terre du jardin est plutôt acide, c’est le rouge qui s’impose dans les feuilles d’érables alors que le violet domine en cas de sol alcalin. Sans oublier que les épisodes de sécheresse, comme c’est le cas cette année, accélèrent et accentuent le phénomène de coloration. Pour notre plaisir. Et pour le malheur des arbres qui peuvent en cet automne sec, briller de leurs derniers feux parce que les nuits très froides sont trop rares.
À à ce propos, le réchauffement climatique fait de ce automne français (et européen) une saison plutôt douce et ensoleillée. Evolution qui explique aussi que les feuilles tombent de plus en plus tard. J’invite tous les « climatosceptiques » à faire le tour de mon jardin pour observer les narcisses qui sortent de terre, les perce-neige qui montrent le bout de leurs perles florales blanches et les crocus jaunes qui laissent déjà voir un peu de leur couleur. Plus grave encore, les nuits plutôt douces et les journées ensoleillées incitent pêchers et abricotiers à commencer de gonfler leurs bourgeons, au risque d’être saisis par un coup de gel qui finira par se manifester brusquement. Mais, pendant ce temps, à Durban, le réchauffement au quotidien n’intéresse pas plus que la disparition programmée d’une partie du Bangladesh ou de l’archipel de Tuvalu...