La violence des riches (14/09/2013)

Analyse reprise de "L'Essai et la revue du jour" par Jacques Munier sur France Culture, à propos du nouveau livre de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot


Les plans sociaux se succèdent à un rythme toujours plus soutenu comme une sombre fatalité que nous finissons par admettre, le chômage augmente et se traduit dans l’abstraction de chiffres et de charlot.jpgstatistiques qui semblent nous immuniser contre la réalité dramatique qu’ils reflètent de loin, la finance mondialisée nous apparaît comme un univers d’une inextricable complexité, et tout en sachant que certains en tirent de fabuleux bénéfices, l’opacité et l’apparente autonomie du système décourage notre pouvoir d’indignation et de révolte. Nous sommes d’autant plus mûrs pour la servitude volontaire et le renoncement que l’adversaire, celui qu’on pouvait facilement identifier comme l’exploiteur, le profiteur, le spéculateur, semble s’être volatilisé derrière une ingénierie tentaculaire et incontrôlable qu’on désigne comme la mondialisation économique… Deux sociologues des riches, observateurs aigus et sereins des grands bourgeois, de leur mode de vie et de reproduction sociale mettent ici leur connaissance de ce petit monde très interconnecté au service d’une entreprise de déniaisement, ils élargissent leur focale pour faire apparaître sous un même regard les riches et ceux qui subissent les conséquences de leur appât du gain, bref ils montrent la nature et l’étendue de la violence des riches, violence symbolique mais aussi terriblement concrète, lorsqu’elle se traduit par des vies brisées, amputées de tout projet d’avenir, des régions sinistrées, une jeunesse livrée à elle-même sans la moindre perspective.

 

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot montrent que cette « violence de classe » a ses agents, ses stratégies et ses lieux. Ils alternent dans leur livre les enquêtes, les portraits et les analyses de données chiffrées. Avec eux nous passons d’une étonnante séance de projection d’un film sur la casse industrielle dans la vallée de la Meuse dans le grand auditorium du Medef, avenue Bosquet, à Aulnay-sous-Bois dans le bus qui mène les ouvriers à l’usine PSA, dont les salariés ont vécu des mois sous la pression d’une rumeur de fermeture alimentée par l’existence d’une note interne révélée par la CGT, une annonce volontairement retardée pour cause de période électorale. Après la divulgation de cette note, la direction n’a pas démenti, laissant les salariés à leur angoisse, un bon moyen de paralyser l’action et la résistance… On ne sait ce qui, des délocalisations programmées, de la considérable plus-value foncière espérée sur le site dans le cadre de la réalisation du Grand Paris ou de la réputation sulfureuse des ouvriers d’Aulnay a déterminé ce choix pour réduire les effectifs de PSA mais le résultat est là : au total 11200 emplois seront supprimés dans le groupe, dont 3000 à Aulnay, par une entreprise qui a bénéficié des largesses de l’Etat et qui a versé de substantiels dividendes à ses actionnaires. D’ailleurs, les auteurs rappellent que les dividendes dans les bénéfices distribués sont en augmentation constante, passant de 3% en 1982 à 12% aujourd’hui. Ce n’est pas la crise pour tout le monde.

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