Mermet et compagnie (19/02/2009)

Nous vous avons annoncé  la projection du fim "Chomsky et compagnie" dans le cadre d'ATTAC fait son cinéma . Il sera présenté le mardi 10 mars à 20h au Métropolis de Charleville . C'est un film de Daniel Mermet, journaliste à France-Inter, qui répond dans "L'Humanité" à des questions sur son travail :


200811190752_zoom.jpgRencontre avec Daniel Mermet, co-auteur avec Olivier Azam de "Chomsky et Compagnie, pour en finir avec la fabrique de l’impuissance", documentaire sur le linguiste américain Noam Chomsky, intellectuel très critique de la politique étrangère des Etats-Unis, et des médias de masse.

Lors de sa visite en région pour la présentation de son film « Chomsky et Compagnie » grâce à l’association l’Eclat et au Cinéma d’Art et d’Essai , le Mercury, à Nice, l’animateur de l’émission quotidienne de France Inter, « Là bas si j"y suis », Daniel Mermet répondait à quelques questions sur Noam Chomsky, linguiste et penseur américain ainsi que sur les médias. Entretien.

Chomsky est-il ce personnage singulier ,ce penseur dont on a besoin,cette référence qui mène plus loin la réflexion bien qu’on invite chacun à n’avoir ni dieu ni maître ?

Daniel Mermet. On n’a pas besoin de maître. Chomsky n’en est pas un. Il a pour rôle d’analyser, de documenter, de sourcer. Lui le voit comme un métier comme un autre. Il ne faut pas mentir évidemment sur ses privilèges attachés à sa fonction d’intellectuel. Mais il n’en abuse pas. Il est pas dans un mirador à nous regarder de haut. Il est dans la mêlée quotidienne. Il se prononce très vite sur les évènements. Il voit son rôle comme celui d’un "spécialiste de quelque chose", comme un médecin, un avocat, un plombier zingueur.

On ne va pas le voir comme un oracle. Il est comme Bourdieu qui disait « je suis discutable, j’espère mériter d’être discuté. » Il ne parle pas qu’aux élites, loin s’en faut. Il s’exprime dans une langue extrêmement claire. Il existe un prix Orwell de la clarté de l’expression. Il l’a eu deux fois. Cette courtoisie de se faire comprendre à travers des choses orales souvent, des textes assez courts, fait qu’il y a chez lui une volonté non pas de se mettre à la portée des gens mais de se mettre à la portée des gens auxquels il veut parler.

Chomsky, pour moi est un intellectuel-traitre au sens ou Vidal-Naquet parlait des "historiens traitres", c’est-à-dire des historiens qui ne répondent pas à la fonction à laquelle ils sont assujettis. Des intellectuels qui accumulent des savoirs pour le service du pouvoir, pour la justification du pouvoir ou pour les projets du pouvoir. Chomsky est un contre-pouvoir qui nous incite au contre-pouvoir. Il met ses savoirs à la disposition des gens pour que nous interrogions le pouvoir. Pour toutes ces raisons, il n’est ni un dieu ni un maître.

Sans parler de dieu ni de maître, est-il une référence, faute du politique qui ne relaie pas ?

Daniel Mermet. Oui mais si malgré lui, il est devenu une icône, il faut savoir que ça le gêne beaucoup. Il n’a pas vu beaucoup du film bien arton2737685-90e11.jpgqu’il en ait eu de bons échos. Il n’a pas vu beaucoup non plus de « La fabrique du consentement » par Achbar et Wintonick. Il redoute beaucoup la personnification. Il est malgré sa volonté une icône à cause du système.

Vous mettez en parallèle à sa pensée beaucoup d’archives et d’images, d’événements, sans être au service de sa pensée.

Daniel Mermet. On essaie de faire découvrir sa pensée mais aussi de prendre tout de suite ce qu’il y a, de voir vraiment les choses énormes, comment notre opinion est manipulée, comment fonctionne la manipulation de l’opinion dans des systèmes démocratiques, transparents.Comment s’exerce le lavage de cerveau dans ces systèmes. Lui, propose un certain nombre d’exemples. Il y en a bien d’autres abordés dans le film.

Pourquoi se méfie-t-il des journalistes français ?

Daniel Mermet. Pour les raisons évoquées dans le film. Il a été en butte à des intellectuels français lors de l’affaire Faurisson. Ils l’ont stigmatisé en le jugeant comme un révisionniste, comme on fait encore aujourd’hui. C’est une insulte qu’il est très difficile de combattre. Pédophile, antisémite ce sont les pires insultes. C’était si malhonnête, frauduleux qu’il en a conçu une certaine amertume. Il a fallu du temps pour que ça s’apaise un peu. Il n’a donc pas beaucoup de sympathie pour les journalistes français, ni pour une certaine scène intellectuelle française.

C’est la limite de la liberté d’expression car le négationnisme d’un Faurisson peut être mal interprété, ceux qui n’ont pas de culture pourraient être séduits par un tel discours.

Daniel Mermet. Bien sûr ! Il faut aussi à ce moment-là interdire les pubs scandaleuses, les discours mensongers et trompeurs.

Ces discours, ces pubs, engagent-ils la mémoire de six millions de morts ?

Daniel Mermet. Oui, la pub peut tuer. En matière de liberté d’expression, il y a deux attitudes : "je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais dites-le", et "je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites et donc je vous interdis de le dire". En France, nous sommes davantage dans la dernière posture. Cela a donné beaucoup de poids à Faurisson. Cela lui a donné une réputation de martyr. Des négationnistes, des medium_gal-57451.jpgrévisionnistes, il y en a aux États-Unis. Il y a aussi des groupes nazis, que l’on laisse parler dans un coin. Il y a toujours le Ku klux klan qui opère. Il y a donc un danger, mais ce qui a discrédité Faurisson ce ne sont pas les tribunaux, pas le côté émotionnel, ce sont les historiens qui ont réfuté toutes ses allégations. Un livre édité en 1982 par les éditions de la Sorbonne réfutait chaque point et à partir de là, il était scientifiquement discrédité. Vidal-Naquet, l’adversaire le plus déterminé de Chomsky, n’a jamais laissé supposer que ce dernier souscrivait aux thèses de Faurisson. Pierre Vidal-Naquet, comme la majorité de la communauté des historiens en France, est opposé aux lois dites mémorielles, aux lois Gayssot, Taubira, etc. qui sont pour eux, d’abord, que nous nous déchargeons de nos responsabilités démocratiques et intellectuelles en nous en remettant aux juges. Que nous prenons le risque du communautarisme. Chomsky s’y oppose aussi. Donc leur différence n’est pas aussi grande qu’on l’a trop souvent dit.

Vous dites dans le film qu’il est entre le socialisme et l’anarchisme. Pourriez-vous préciser ?

Daniel Mermet. Il est très attiré par les deux. Il faut faire très attention à ces mots pare que ça n’a pas le même sens ici et ailleurs. Il existe un anarcho-capitalisme. Si ça veut dire pas d’État, pas de parti, pas de vote, etc… ce n’est certainement pas ce que veut dire Chomsky.

Il existe un petit livre de Normand Baillargeon sur l’ordre sans le pouvoir où Normand fait un état des différents courants de l’anarchie. Il y évoque l’anarchie de Chomsky. Quant au socialisme ça n’a pas le même sens aux Etats-Unis qu’en Europe. Ce sont des mots : Martine Aubry est socialiste ; hélas le mot n’a plus aucun sens. Mais accolé à "anarcho", ce mot peut encore avoir un sens.

Vous mettez en parallèle une forme de censure dans les années 60–70 et une espèce de journalistes "bien dressés" aujourd’hui. Dans ces conditions, comment viendrait à une majorité de gens un esprit critique ; comment pourrait-on faire que l’opinion réalise ce que vous préconisez ?

Daniel Mermet. Le travail de Chomsky et de Edward Herman, notamment dans La fabrique du consentement qui est leur livre essentiel et quih-20-1201747-1212431212.gif vient d’être réédité aux éditions Agone, ne traite pas seulement de la manipulation par les médias mais de la façon dont se fabrique l’idéologie dominante à travers notamment le mécanisme des relations publiques. Ce qui englobe l’Université, la pub,l’Eglise, tous les moyens de l’information et tous les moyens de fabriquer les esprits. Sur le plan médiatique, c’est très difficile de se prétendre libre lorsqu’on sait que les grands médias dominants sont entre quelques mains. Rien que cela fait qu’à l’intérieur des rédactions, les lignes éditoriales sont verrouillées, consensuelles.

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